Irvin Yalom et son Jardin d’Épicure ou comment regarder le Soleil en Face

20884813_10210180195445274_456798969_n.png

* Un Auteur Charismatique *

Monsieur Yalom est un homme à casquettes (même si les chapeaux lui vont mieux) et il en a beaucoup ! Dans un premier temps psychothérapeute et professeur à Stanford, il devient romancier, essayiste et même acteur (En 2015 Sabine Gisiger réalise le film Irvin Yalom, la Thérapie du Bonheur dans lequel elle suit le psychothérapeute dans sa vie professionnelle et personnelle). Si Irvin Yalom est tant apprécié par le public, c’est parce qu’il a sût travailler son personnage et être à la fois l’auteur et le protagoniste de ses écrits, mais alors, comment a-t-il procédé ?

Yalom

Yalom nous donne sa formule dans la dernière partie du Jardin d’Épicure. Il s’adresse ici plus particulièrement aux psychanalystes et leur conseille de se dévoiler eux aussi au cours de leurs séances, mais attention, il faut se dévoiler comme il faut (ni trop ni pas assez) et le faire au bon moment, dans l’espoir de resserrer les liens de confiance entre patient et thérapeute. Ce que prescrit Irvin Yalom en tant que professeur et professionnel, il l’utilise donc aussi dans son rôle d’écrivain.

* Épicure et la mort *

Irvin Yalom a écrit de nombreux ouvrages, une grande partie vient d’être ré-éditée par Le Livre de Poche (et on les en remercie mille fois). Dans Le Jardin d’Épicure, il se concentre sur une thématique universelle et très profonde, celle de la peur de la mort et les moyens que nous employons pour la surmonter.

Le titre de cet ouvrage nécessite un retour sur Épicure et sa philosophie. Épicure naît au cours des années 340 avant notre ère à Samos (une île grecque). À peine trentenaire il fonde l’épicurisme et devient particulièrement connu. Sa philosophie le pousse à rester éloigné à la fois de ce succès mais aussi de la capitale : Athènes. Épicure, bien loin de toute cette frivolité, s’installe aux alentours de la ville et crée son fameux jardin. C’est dans cette École du Jardin qu’il reçoit de nombreux étudiants et philosophes et dispense ses précieux enseignements.

221f06d07a_50141974_epicure-1000

Il serait possible de considérer la philosophie épicurienne comme étant celle du « point trop n’en faut » mélangée à pas mal de « petits bonheurs ». Mais Épicure s’est déjà chargé de définir à la fois simplement et succinctement sa philosophie avec le Tetrapharmacon :

Les dieux ne sont pas à craindre ;
La mort n’est pas à redouter ;
Le bonheur, facile à trouver ;
La souffrance, facile à supporter.

Nous ne développons pas toute la philosophie d’Épicure ici et préférons s’intéresser à la façon dont il pensait la mort et la relation que l’homme entretien avec elle de son vivant. Cependant, si vous souhaitez approfondir vos connaissances sur l’épicurisme nous vous conseillons l’article de Cathaseris sur Aerie’s Guard : Être épicurien n’est sans doute pas ce que vous croyez et la page dédiée à Épicure sur LesPhilosophes.fr qui vous fournira de nombreuses informations et références.

Irvin Yalom partage la philosophie d’Épicure au sujet de la mort. D’après lui la mort n’est rien, c’est un vide, or, l’être humain est une présence. Pour faire simple, la où est la mort, je ne suis pas et là où je suis, la mort n’est pas. Mais alors, pourquoi avoir peur de sa propre mort. Ma propre mort ne sera pas mon problème mais celui des vivants, des êtres qui me sont attachés. C’est une philosophie athéiste qui ne suppose donc pas de vie après la mort, de paradis ou de réincarnation. Mais Irvin Yalom crée un lien avec ses patients comme avec ses lecteurs en partageant sa propre angoisse de la mort, une angoisse profondément liée à la vie en fin de compte.

Dans Le Jardin d’Épicure, Yalom utilise la philosophie pour traiter des problèmes psychanalytiques. L’essai est composé simplement, de la façon suivante : Yalom aborde une pensée philosophique, l’explique et se l’a réapproprie, puis, prend l’exemple d’une séance avec un de ses patients pour montrer comment cette pensée peut être utilisée de manière concrète pour surmonter la peur de la mort. Cette construction permet une lecture efficace, rythmée et particulièrement enrichissante.

En plus de cette base de données particulièrement axée sur la philosophie et la psychologie, Yalom utilise de très nombreuses références culturelles (nous vous en proposons une sélection plus bas dans la section « Pour Approfondir ») qui pousse le lecteur à former son regard, à voir dans tous médiums culturels, un exemple philosophique et psychologique.

Petite Note Personnelle :

En discutant de ce livre avec une collègue (j’en profite d’ailleurs pour lui passer un petit coucou), elle m’a très simplement dit : « C’est le genre de livre qui te rend intelligent, ou t’en donne l’impression ». Cette phrase à fait mouche ma biche et on va l’analyser, ici et maintenant ! Pourquoi ce livre est susceptible de te rendre intelligent ou plutôt, d’accroître visiblement ta culture générale ?

Proposition 1 : Parce que l’auteur me donne pleins de références et m’en fait de super résumés, je pourrais donc les citer moi aussi et sans même avoir eu besoin de lire livres ou voir les films qu’il cite.

Proposition 2 : Parce qu’avec ce livre, Irvin Yalom me fait entrapercevoir tout son cheminement de pensée, les connections qu’il établit entre différentes œuvres et la façon dont il emploie ses connaissances dans des relations concrètes.

Alors, Alors ??? J’opte pour la proposition 2 !

image

Les grands écrivains, réalisateurs, metteurs en scène et autres ont de bien jolis noms, mais ce n’est pas en les citant que vous en tirerez une leçon. La culture se fait entre l’objet culturel et vous. Il faut aller plus loin que la simple rencontre avec l’objet et voir ce qu’il a provoqué en vous. L’aimez vous ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ? Quel sentiment vous a-t-il fait ressentir et pourquoi ? À quoi vous a-t-il fait penser et pourquoi ? Prenez tout vos sentiments et questionnez-les. L’important n’est pas de trouver la réponse au pourquoi, poser la question est un très bon début. Irvin Yalom est le parfait exemple de l’être cultivé utilisant justement sa culture dans le but d’enrichir sa propre vision du monde, de la faire exister à travers lui et de l’utiliser dans son propre intérêt. La culture n’est en réalité que ce que vous en faite. À bon entendeur …

* Quand la Psychologie se mêle de Philosophie *

Philosophie et psychologie sont deux grands ensembles qui s’intéressent à l’Homme et à son environnement et plus particulièrement aux relations qu’entretiennent ces deux entités à elles-mêmes comme à l’autre. Yalom utilise ces deux ensembles pour créer un écho chez son patient comme chez son lecteur. Il donne alors le parfait exemple de l’aphorisme, pour expliquer ce terme on va se baser ici sur la très simple définition linguistique qu’en donne Wikipédia : « L’aphorisme est un énoncé autosuffisant. Il peut être lu, compris, interprété sans faire appel à un autre texte. Un aphorisme est une pensée qui autorise et provoque d’autres pensées, qui fraye un sentier vers de nouvelles perceptions et conceptions. Même si sa formulation semble prendre une apparence définitive, il ne prétend pas tout dire ni dire le tout d’une chose. »

Le Jardin d’Épicure nous fait découvrir de nombreux aphorismes, à chacun de sentir lequel lui est, en quelque sorte, destiné. Nous avons par exemple le « Deviens qui tu es », « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort », tous deux signés Nietzsche.

Notre sensibilité et notre vision de la vie peuvent aussi être touchées par un concept philosophique. Pour continuer avec Nietzsche, nous allons aborder rapidement le concept de l’éternel retour qu’il développe dans Ainsi parlait Zarathoustra, et qui de mieux placé pour l’expliquer qu’Irvin Yalom lui-même ?

« Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzche met en scène un vieux sage, qui décide de descendre de sa montagne et de partager avec les autres ce qu’il a appris. De toutes les notions qu’il prêche, il en est une qu’il considère comme son « idée la plus profonde » – l’idée d’éternel retour. Zarathoustra lance un défi : qu’en serait-il si vous deviez vivre une même vie toujours recommencée durant l’éternité – en quoi cela vous transformerait-il ? Les mots angoissants que je cite ici sont sa première description de l’expérience de pensée de « l’éternel retour ». Je les ai souvent lus à voix haute à mes patients. Essayez d’en faire autant de votre côté. »

Le Jardin d’Épicure, Irvin Yalom, 2008, publié aux éditions Le Livre de Poche en 2015, extrait de la page 112

* Pour Approfondir *

Nous vous proposons ici une sélection des références utilisées par Irvin Yalom dans son essai. Nous vous invitons du même coup à découvrir ses nombreux ouvrages récemment ré-édités par Le Livre de Poche, on vous laisse un lien juste ici  !

Ouvrages Cités

  • Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche (Niet + Zorro Sur Cheval), 1891 (philosophie)

  • La mort d’Ivan Ilitch, Tolstoï, 1886 (nouvelle)

  • Autres Rivages, Nabokov, 1951 (autobiographie)

  • Grendel, John Gardner, 1971 (roman)

  • La Peur de la Liberté, Erich Fromm, 1941 (essai)

  • Le Livre Tibétain de la Vie et de la Mort, Sogyal Rinpoché, 1992 (essai)

Films Cités

  • Vivre, Akina Kurosawa, 1952

  • Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Michel Gondry, 2004

  • Cris et Chuchotements, Ingmar Bergman, 1972

Évidemment, Irvin Yalom s’appuie en particulier sur les écrits de grands philosophes comme Schopenhauer et Heidegger mais aussi de nombreux psychanalystes comme le viennois Otto Rank. Nous vous conseillons de les (re)découvrir par l’essai Le Jardin d’Épicure, leurs théories et pensées y étant revisitées selon un axe très précis.

C’est bon le petit cours de philo/psycho est terminé ! On vous dit : à la prochaine et on vous laisse méditer sur l’éternel retour ! Tschüss !

tumblr_m51x3nDAE21rozd3po1_500.gif


Laisser un commentaire